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Les atouts de la Suisse: la Constitution et le frein à l’endettement

Les atouts de la Suisse: la Constitution et le frein à l’endettement

La Lettre libérale

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OPINION. La prospérité du pays ne provient pas de l’étendue de l’Etat providence ou des dépenses publiques, mais de l’inscription dans le droit des principes libéraux. Le PIB par habitant ne serait pas le double de celui de nos voisins sans ce cadre institutionnel.

Emmanuel Garessus
Publié lundi 2 mai 2022 à 06:00
Modifié lundi 9 mai 2022 à 10:52

L’atout institutionnel de la Suisse

L’élection présidentielle française a, pour beaucoup, permis de détailler les lacunes de la
démocratie française. Une analyse de la France, notamment si elle porte sur une comparaison
avec la Suisse, ne peut qu’être sévère à l’égard de nos voisins. Sur Contrepoints, Xavier
Fontanet, ancien président du groupe Essilor et actuel membre du conseil d’administration de
L’Oréal et Schneider Electric, met le doigt sur l’atout principal de la Suisse: sa Constitution:
«Il y a cinquante ans, à la mort du président Pompidou, nous avions le même PIB par tête que
la Suisse qui est aujourd’hui pratiquement 2,5 fois le nôtre; le pays s’est endetté, passant de
30% à 120% du PIB, alors que la Suisse est restée à 30%.»
La situation sur le marché du travail qui en résulte est complètement différente. Le chômage
est en Suisse le tiers de celui de la France: «en fait le chômage est négatif si on tient compte
des frontaliers qui viennent y travailler quotidiennement. Les seuls Français sont 180 000, soit
3,6% de la population active», avance-t-il.
Lorsqu’on sait, comme l’a indiqué la dernière étude de l’Institut IWP de l’Université de
Lucerne, que la raison de la stabilité des inégalités en Suisse depuis un siècle est due au
marché du travail et au système de formation duale, on ne peut pas suffisamment insister sur
cet aspect.
La cause de cette différence structurelle se situe dans la Constitution suisse, selon Xavier
Fontanet. L’entrepreneur observe que «les fonctions régaliennes sont décentralisées au niveau
des cantons, inclus l’enseignement et la santé.» Dans le pur esprit libéral, il souligne le rôle de
la concurrence entre les cantons dans la compétitivité de la sphère publique suisse.
Le deuxième domaine qui conduit à cette différence, selon Fontanet, est celui de l’éducation.
Non seulement l’apprentissage est un moyen d’ajuster l’offre et la demande, mais «les
universités sont cantonales, ce qui ne les empêche pas d’être au top mondial. Il est clair que là
aussi la concurrence entre cantons joue à fond», note-t-il.
En Suisse, la gauche répète que la prospérité économique provient de l’étendue de l’Etat
providence. Xavier Fontanet observe au contraire que le coût de la sphère sociale est de 20%
du PIB en Suisse contre 32% en France «grâce au recours aux assurances privées et au
système de retraite par capitalisation». Certes le regard de ce dernier est parfois
excessivement optimiste. En Suisse, un chômeur ne retrouve pas aisément un emploi, mais la
fluidité du marché est nettement meilleure que chez nos voisins.

Les mérites du frein à l’endettement

Un autre atout comparatif majeur de la Suisse réside dans le frein à l’endettement. Le
fiscaliste Dan Mitchell, estime, sur son blog International Liberty, que cette mesure,
approuvée à 83% par le peuple en 2001, est «le meilleur système au monde». La règle stipule
que les dépenses publiques ne doivent pas dépasser les recettes sur l’ensemble d’un cycle
économique. Le frein à l’endettement s’accompagne d’une exception en cas d’urgence, ce qui
a permis à la Suisse de soutenir la conjoncture durant la pandémie et les mesures de
confinement.
Entre 2019 et 2022, le parlement suisse a d’ailleurs été «beaucoup plus responsable que son
homologue américain», avance Dan Mitchell. Selon le FMI, la dette publique s’est accrue de
3,4 points en Suisse en trois ans et de 12,8 points aux Etats-Unis. La Suisse devrait à nouveau
présenter un budget excédentaire d’un milliard de francs cette année. La croissance
économique ne souffrira donc pas du coût de la dette.
Non seulement la gauche mais aussi certains économistes bancaires estiment que le frein à
l’endettement est trop rigide. Dan Mitchell cite un rapport de la banque ING déplorant une
surestimation des dépenses publiques dans le budget et une sous-estimation des recettes.
Effectivement, depuis vingt ans l’endettement diminue en Suisse et augmente fortement dans
les autres pays industrialisés. Ne faut-il pas s’en féliciter dans un contexte de hausse des taux
d’intérêt? N’est-ce pas la condition nécessaire à une future baisse des impôts?
Au moment où de nombreux gouvernements creusent des déficits déjà considérables pour
soutenir le pouvoir d’achat dans une période de hausse des prix énergétiques et alimentaires,
la marge de manœuvre dont dispose la Suisse est un atout.

Changer les banquiers centraux qui n’atteignent pas leurs objectifs

La bataille des mots est cruciale dans le monde des monnaies autant qu’en politique. La
hausse de l’inflation est souvent mise au compte de la guerre en Ukraine et de ses effets sur
les matières premières. Pourtant la hausse des prix dépasse depuis des mois les prévisions des
économistes et des banques centrales.
L’origine du dérapage provient avant tout des banques centrales, notamment américaine et
européenne, et de leurs politiques non conventionnelles. L’offre de monnaie a largement
dépassé les besoins. Le «quoi qu’il en coûte» macronien s’est emparé de la plupart des
banques centrales, en particulier depuis l’éclatement de la pandémie.
La tendance a été amplifiée par la confusion des genres entre politiques monétaires et
budgétaires, dans un environnement théorique dommageable. Quand les dépenses budgétaires
sont financées par les banques centrales, l’inflation ne peut que s’envoler, comme l’écrivent
James Gwartney, professeur d’économie à l’Université de Floride, et David Macpherson,
professeur d’économie à la Trinity University, sur le site de l’American Institute for
Economic Research. De mars 2020 à mars 2021, le Congrès américain a signé des lois covid
d’un montant de 5500 milliards de dollars, si bien que les dépenses budgétaires sont passées
de 4800 milliards de dollars en 2019 à 6800 milliards en 2020 et 7000 milliards en 2021.
Ces dépenses ont été financées par des emprunts que la Réserve fédérale a accumulés à son
bilan. De février 2020 à décembre 2021, les titres au bilan de la Fed sont passés de 4200
à 8800 milliards de dollars, selon Gwartney et Macpherson. La masse monétaire M2 a
augmenté de 25% en 2020. Elle s’est ensuite accrue de 13% en 2021. Le resserrement
annoncé pour 2022 est extrêmement tardif.
Pour éviter que de pareils dérapages ne se reproduisent, Gwartney et Macpherson proposent
d’imiter la Nouvelle-Zélande, où les décideurs sont remplacés s’ils n’atteignent pas les
objectifs de stabilité des prix fixés. Aux Etats-Unis, comme dans la zone euro, le mal est fait.
Mais il serait avisé de s’inspirer de l’exemple ci-dessus. Malheureusement, la récession est de
plus en plus probable à l’horizon de 2023. Qu’on arrête toutefois de l’associer uniquement à
la guerre en Ukraine!
Lorsque l’inflation atteint 7,5% dans la zone euro et 8,5% aux Etats-Unis, il est irresponsable
de continuer à pratiquer des politiques monétaires aussi accommodantes qu’aujourd’hui. La
croissance monétaire est trop forte et les taux d’intérêt nettement trop bas.

L’Occident de la censure et du politiquement correct

Le feuilleton de la reprise de Twitter par Elon Musk est l’un des meilleurs exemples du refus
de liberté qui s’installe dans les pays occidentaux.
Un milliardaire sort du bois pour accroître la liberté d’expression en reprenant un réseau
social – un marché si concurrentiel qu’il est impossible d’y imposer sa thèse – et
immédiatement la panique s’installe dans les salles de presse.
Le discours politiquement correct des médias publics et des journaux de référence serait
menacé par un entrepreneur qui entend respecter scrupuleusement la loi dans tous les pays et
faciliter les discours dissidents. Les attaques contre Elon Musk traduisent une triste volonté de
contrôle social.
John Stuart Mill doit se retourner dans sa tombe à l’écoute des menaces de la Commission
européenne et des commentaires de presse. A peine Elon Musk a-t-il lancé son OPA sur
Twitter et donné de premières indications en faveur d’une plus grande liberté de parole que
les représentants des idéologies woke, socialistes et vertes se sont levés. Le masque de ces
derniers est tombé. Le pluralisme des idées ne doit être possible qu’au sein d’une même caste.
L’opposition à cette dissidence entend se fonder sur des concepts flous de discours de haine et
de fausse information. Que ne fait-on pas aujourd’hui pour inverser le sens réel de ces
concepts? Il n’est nullement dans mon intention d’encourager les insultes. Par contre, dans
l’esprit de John Stuart Mill, toutes les thèses doivent pouvoir s’exprimer, celles du
politiquement correct et les autres.
Cette opposition contraste avec les sources mêmes de la culture occidentale. «Ce qui a fait la
grandeur de l’Occident fut sans doute de croire que l’homme est précisément celui qui a en lui
la liberté et le pouvoir de penser et de faire», écrit Jean-Philippe Delsol dans Civilisation et
libre arbitre. Pourquoi l’Occident est différent (Ed. Desclée de Brouwer, 2022).
On préfère de plus en plus diaboliser les adversaires politiques ou philosophiques plutôt que
de convaincre par ses thèses et ses arguments. En réaction à l’OPA d’Elon Musk, l’UE
s’insurge, menace et parle de sanctions, comme si des actes illégaux allaient être commis.
Aux Etats-Unis, le président Biden estime subitement que les réseaux sociaux peuvent être
une menace.
Les médias craignent, par ailleurs, le retour de Donald Trump sur Twitter, comme s’il n’avait
pas le droit de s’exprimer. D’ailleurs le pouvoir politique de ce réseau social n’a pas été
découvert par le président républicain. Lors de la campagne présidentielle américaine de
2008, Barack Obama avait dominé John McCain en partie parce qu’il disposait de 20 fois plus
de followers que son concurrent.
Jean-Philippe Delsol déplore avec raison que «la société contemporaine réclame toujours
davantage de liberté en même temps qu’elle s’en remet de plus en plus à des pouvoirs
auxquels elle mendie ses chaînes».
Emmanuel Garessus, le temps du 2.5.2022